a Franc-Maçonnerie en quête d'elle-même
 
LA FRANC-MAÇONNERIE EN QUÊTE D'ELLE-MÊME
 
Des préoccupations purement profanes détournent les Loges de leur vrai travail : l’initiation. La référence maintenue depuis les «Anciens Devoirs» à un Dieu révélé se trouva après l’Empire mise en concurrence, si l’on ose dire, avec des manies bien néo-maçonniques. L’Égypte antique, les druides et quelques autres thèmes commencèrent à tenir lieu de “tradition” aux Maçons qui perdaient d’autant plus de vue leur propre Tradition.
 
Une tentative de résurgence du Rite Écossais Rectifié (1837-1839) ne changea rien à l’affaire puisqu’elle échoua, de même que les fondations de Grandes Loges bientôt disparues comme la Grande Loge Centrale du Rite Écossais Ancien et Accepté (1848). Le problème est que l’information des Maçons du XIXe siècle était d’une grande indigence tant sur les rêveries égyptiennes et druidiques, que sur leur propre histoire.
 
L’idée qu’il convient de croire en Dieu perdurait cependant dans les Loges. Était-ce au titre de ce que l’initiation maçonnique est réputée venir des bâtisseurs de cathédrales ? Il semble qu’on en savait trop rien en 1849 quand le Grand Orient de France exigea dans ses Constitutions que les Maçons croient en «l’existence de Dieu et en l’immortalité de l’âme». Mais depuis la fin du Second Empire, on était débarrassé de la surveillance gouvernementale et l’athéisme militait, stimulé par les excommunications à répétition tout au long du XIXe siècle.
 
En 1875, au Convent de Lausanne, des Suprêmes Conseils du Rite Écossais Ancien et Accepté voulurent remplacer Dieu par un «principe créateur».
 
En 1877, le Grand Orient de France supprima purement et simplement l’obligation d’invoquer le Grand Architecte de l’Univers en Loge, tout en laissant à ses membres la liberté de croire ou pas à ce qu’ils voudraient. Une sorte d’humanitarisme laïc et politicien tenait désormais lieu de philosophie à la Franc-Maçonnerie. Au lieu de travailler à l’initiation, les Loges travaillèrent à donner des consignes aux gouvernements de la IIIème République et à récolter des places et des décorations pour leurs membres. C’est dans ce contexte qu’une Grande Loge, fut fondée en 1880.
 
Cette Obédience faisait scission d’avec le Suprême Conseil de France, rejetait les hauts grades et s’intitulait «Grande Loge Symbolique Écossaise». Son objectif était de soutenir l’athéisme en Franc-Maçonnerie contre le théisme du Suprême Conseil de l’époque. Quelques années plus tard, un Maçon du Grand Orient de France, lassé de la politique, les rejoignait : c’était Oswald Wirth qui allait commencer une œuvre maçonnique essentielle.
 
Cette œuvre essentielle en ce sens qu'elle influence encore beaucoup la Maçonnerie. Il convient donc de s’y arrêter quelque peu. Le premier ouvrage de Wirth, ouvrage collectif mais rédigé sous sa direction, définit assez bien sa position en matière traditionnelle, confirmée par ses écrits suivants. Il s’agit d’un rituel, le Rituel Interprétatif pour le Grade d’Apprenti.
 
Ce rituel fut approuvé en 1893 par la Grande Loge Symbolique Écossaise ; il y a donc lieu de supposer qu’il était conforme à l’idéologie de celle-ci.

Que dit-il ?

Le Rite maçonnique ne doit faire référence à aucun dogme. Il ne fait «donc» pas référence à Dieu, considéré comme un dogme, et pour «plus de sûreté», les Maçons de l’Obédience ne travaillent pas à la Gloire du Grand Architecte de l’Univers, mais à la Gloire de la Franc-Maçonnerie Universelle. C’est ainsi que selon Wirth les Maçons se réunissaient pour travailler à leur propre gloire et surtout sans Volume de la Loi Sacrée.
 
Au moyen des symboles l’initié recherche ce qui se trouve caché dans les profondeurs de son esprit : ainsi deviendra-t-il un penseur libre. Ce penseur triomphera de ses défauts et deviendra peu à peu un être d’une qualité morale irréprochable, «libre et régénéré», détaché des contingences : «l’Initié» avec un grand i.
Le candidat, dans son serment, promettait de consacrer toute son intelligence «à rechercher la Vérité», et ses forces «au triomphe de la Justice».
 
En conclusion, l’orateur de la Loge tenait un petit discours au néophyte, duquel il ressortait que «chercher la Vérité sans aucun parti pris, en faisant abstraction dans ce but de toute idée préconçue, tel doit être le travail par excellence du Maçon». Quelle vérité ? mais celle que cherchent les Maçons.
 
Dans son rituel Wirth mélangeait des données pseudo-alchimiques, «occultistes», pseudo-kabbalistiques et, bien sûr, maçonniques. Par exemple, il avait introduit dans le cabinet de réflexion de la Loge du soufre et du mercure, «principes» alchimiques. Entre autres interprétations, le soufre c’était l’Esprit et le mercure l’Âme.
 
L’équerre symbolisait le Droit et la Justice ; quant à la Loge on pouvait la comparer «à la cellule organique et plus spécialement à l’œuf qui contient un être en puissance de devenir...» etc. et le tout à l’avenant.
 
Oswald Wirth eut beau avertir les Maçons que ses indications ne touchaient que «le sens le plus superficiel» des Rites, l’autorité de la chose écrite fit, qu’aujourd’hui encore nombre de Maçons recopient des pages entières de son œuvre pour «plancher» en Loge. Il est vrai qu’Oswald Wirth passait à l’époque pour un traditionaliste en dépit des lacunes de son information.
 
Son ignorance est d’autant plus curieuse que Wirth, ayant appartenu au Grand Orient de France, ne pouvait méconnaître le Régulateur du Maçon de 1801 qui décrivait le Rite Français alors en usage dans cette Obédience et toute une série de publications qui, de 1737 à 1751, avaient divulgué les rituels «ancêtres» du Régulateur.
 
On peut également s’interroger sur le fait qu’Oswald Wirth prenait Eliphas Lévi pour un Maître et l’occultisme pour de l’initiation. Une interrogation analogue devrait porter sur la valeur de l’œuvre de stanislas de Guaïta, autre «maître» de Wirth. Guaïta, comprenait semble-t-il l’initiation, mais usait de drogues qui vraisemblablement finirent par le tuer.
 
C’est sans doute sous l’influence de tels personnages qu’Oswald Wirth en vint à adopter des vues bizarres comme celles que nous avons citées, ou comme celle qui consiste à considérer que les deux colonnes du temple sont l’une mâle, l’autre femelle.
 
Il reste qu’au sein d’une Maçonnerie adonnée aux jeux du pouvoir, Wirth amorçait un mouvement qui perdure : le retour au symbolisme et à la pensée analogique dans les Loges.
 
En 1895 le Suprême Conseil de France, craignant que le mauvais exemple de la Grande Loge Symbolique Écossaise ne soit suivi par un nombre croissant de Loges, créa la Grande Loge de France chargée d’administrer les grades bleus sous sa houlette et en 1904 il accorda une totale autonomie à cette Obédience. Entre-temps, la Grande Loge de France et la Grande Loge Symbolique Écossaise avaient fusionné (1896). À cette occasion les Frères de la Grande Loge Symbolique Écossaise avaient introduit leur athéisme militant au sein de la Grande Loge de France nouvellement formée.
 
En 1910, quelques Frères du Grand Orient de France, désireux d’en revenir à une Maçonnerie avec un Grand Architecte de l’Univers qui soit Dieu, firent le voyage de Suisse et recueillirent le Rite Écossais Rectifié. C’étaient les Frères de Ribeaucourt, Savoire et Bastard. Rentrés en France, ils réveillèrent au Grand Orient de France la Loge Le Centre des Amis et la firent fonctionner au Rite Rectifié.
 
Cela ne pouvait durer au Grand Orient de France d’alors ; la Loge éclata en 1913. Ribeaucourt partit du Grand Orient de France avec quelques Frères du Centre des Amis pour maintenir la Loge hors le Grand Orient de France.
 
Il fonda en association avec L’Anglaise de Bordeaux, la "Grande Loge Nationale Indépendante et Régulière pour la France et les Colonies Françaises". Les colonies n’étant plus ce qu’elles étaient, l’Obédience s’appelle aujourd’hui «LA GRANDE LOGE NATIONALE FRANÇAISE».
 
Le Frère Savoire, resté au Grand Orient de France, finit par fonder le Grand Prieuré des Gaules (1935) et la Grande Loge Écossaise Rectifiée de France (1936). Le Grand Prieuré administrait les hauts grades du rite et la Grande Loge Rectifiée de France, les grades bleus.
 
Pendant la deuxième guerre mondiale, l’occupant pourchassant la Maçonnerie, les Loges cessèrent leurs activités, à de rares exceptions près.
 
Après la guerre, des événements modifient encore le paysage maçonnique :
 
En 1958, la Grande Loge Nationale Française connut une scission dont naquit la Grande Loge Nationale Française «Opéra», maintenant G.L.T.S. Grande Loge Traditionnelle et Symbolique (Opéra).
 
La même année la Grande Loge du Rite Écossais Rectifié fusionna avec la Grande Loge Nationale Française.
 
En 1964, en dépit du fait qu’elle imposait la présence de la Bible dans ses Loges, la Grande Loge de France passa un accord avec le Grand Orient de France, depuis lequel les deux Obédiences sont en relations d’amitié. Cet accord est annulé depuis 1970, mais il est toujours possible à un Maçon d’une des deux Obédiences d’appartenir à l’autre.
 
L’accord de 1964 provoqua une réaction chez certains Frères de la Grande Loge de France pour qui le Grand Architecte est Dieu. Ils rejoignirent la Grande Loge Nationale Française où ils apportèrent le Rite Écossais Ancien et Accepté.
 
Tout évoluant en permanence, il n’y a pas lieu de tirer quelque conclusion définitive. Mais force est de reconnaître que l’identité maçonnique se présente en “ordres dispersés” et que, paradoxalement, c’est bien “le monde profane” qui fait son unité apparente en amalgamant tous systèmes et toutes obédiences sous le seul et même vocable, pour lui, de “Maçonnerie”.
 
Il appartient donc aux obédiences revendiquant cette appartenance de s’affranchir (beau terme pour un Franc-Maçon !) de faux secrets, de réserves faussement pudiques ou d’attitudes timorées, voire même paranoïaques, pour affirmer, préciser ses positions et principes fondamentaux.
 
Dans la mesure où des Frères eux-mêmes s’interrogent, comment imaginer que le non-initié ne s’interrogeât point ?
 
La Franc-Maçonnerie française, et elle seule, se doit d’apporter sinon les réponses, tout au moins les interrogations honnêtes qui seront révélatrices de son identité et de sa vocation.
 
Si l’histoire permet de suivre un parcours incontestable, l’appréciation de celui-ci est néanmoins soumise à l’entendement de chacun. A tout le moins cependant, il permet de constater les différentes fidélités ou infidélités aux Règles Fondamentales admises en terme de Maçonnerie de Tradition.
 
Il est donc évident, au terme de ce 20e siècle, que le titre énoncé de “Franc-Maçonnerie en quête d’elle-même” ne peut s’appliquer à la Franc-Maçonnerie de Tradition.
 
La Tradition étant, par définition, permanente et continue ne peut être soumise à l’histoire de l’homme. Tenter de précéder les errements de celui-ci en construisant une réalité de l’homme dans un plan supérieur est infiniment difficile mais est du domaine de “l’agir”.
 
“Les Maçonneries” proposent des voies que l’on peut apprécier à l’aulne de ses propres vérités, croyances ou convictions. Celles-ci sont indiscutables et doivent être respectées. C’est donc bien à la Franc-Maçonnerie elle-même qu’il appartient D’être dans toute sa véracité propre pour taire toute ambiguïté.